Le Procès de Maréchal Ney

(novembre décembre 1815)

 

 

« La trahison, c'est une question de date » Talleyrand

Le rappel des faits

L'arrestation du Maréchal Ney

Le Conseil de guerre se déclare incompétent

Chronologie du procès devant la Cour des Pairs

Le déroulement du procès :

- le décor

- les acteurs

- les séances

- la délibération des Pairs

- Les dernières heures du Maréchal Ney

- Un monument

LE RAPPEL DES FAITS

En 1814, le Maréchal Ney est de ceux qui poussent Napoléon à l'abdication. Le roi Louis XVIII comprend que Ney a été guidé par l'intérêt général et le nomme pair de France. Cependant, las des brimades subies à la Cour par sa femme, il se retire dans sa terre des Coudreaux, près de Chateaudun.

C'est là que Ney reçoit le 6 mars 1815 un ordre du maréchal Soult, ministre de la guerre, lui prescrivant de se rendre immédiatement dans son gouvernement de Besançon. En arrivant à Paris, Ney apprend que Napoléon a débarqué au golfe Juan le 1er mars. Le 6 mars les chambres rédigent une ordonnance qui déclare Napoléon traître. Le 7 mars, reçu par le roi Louis XVIII qui compte sur « son prestige militaire, sa popularité et sa valeur » pour « arrêter les progrès de Bonaparte et le mettre à la raison », il déclare insensée l'entreprise de Napoléon qui mérite selon lui « d'être mis à Charenton ou ramené à Paris dans une cage en fer », paroles qui lui seront rappelées lors du procès.

Maréchal  Soult

Ce même jour, Napoléon est porté en triomphe à travers la ville de Grenoble. Conformément aux instructions du ministre de la guerre, le maréchal Ney arrive à Besançon le 10 mars. Il n'a pas le commandement suprême des troupes. Le roi l'a placé sous les ordres du duc de Berry mais celui-ci, resté à Paris, a passé ses pouvoirs à Monsieur, comte d'Artois. Le 9 mars ce dernier passe la revue des troupes de Lyon dans un silence inquiétant. Le 10 mars il se retire à Roanne, quelques heures seulement avant que Napoléon ne soit reçu avec enthousiasme par la ville de Lyon. Le maréchal Macdonald s'enfuit à son tour après avoir essayé vainement de faire combattre ses troupes qui ont fraternisé avec les hussards de Bonaparte.

Maréchal Macdonald

Le maréchal Ney ignore tout de l'immense vague populaire qui pousse les hommes à entraîner les officiers et, privé d'instructions, il cherche à entrer en contact avec Monsieur. Il informe Soult qu'il n'a presque pas de troupes à Besançon. Ce n'est que le 11 mars qu'il apprend ce qui s'est passé à Grenoble et à Lyon. Il donne l'ordre à ses troupes de se concentrer à Lons-le-Saunier et y arrive lui-même dans la nuit du 11 au 12. Le convoi d'artillerie qu'il a demandé à Soult est contraint de rebrousser chemin. Il a à peine le nombre de cartouches réglementaires, pas de chevaux d'artillerie et seulement 6 000 soldats sans canon face à une armée de 14.000 hommes pourvue d'artillerie.

Le maréchal Macdonald s'est replié sur Moulins. Le 13 mars Ney affirme : 

« Je suis en mesure de marcher sur Lyon aussitôt que je saurai d'une manière positive la direction que prendra Bonaparte ». Mais on le laisse sans nouvelles précises et les troupes annoncées par le ministre de la guerre n'arrivent pas. Le soir du 13, des émissaires de Napoléon lui présentent une lettre du général Bertrand lui disant que partout la population et l'armée se déclarent contre les Bourbons, que s'il ne se décide pas, ce sera lui et lui seul qui sera responsable du sang répandu et de la guerre civile. On lui fait croire que Napoléon arrive non seulement porté par l'enthousiasme des Français mais avec l'accord des alliés, et que le Roi a quitté la capitale.

L'ARRESTATION DU MARECHAL NEY

Il fut décidé que ceux qui s'étaient mis au service de l'Empereur avant le 20 mars 1815, date à laquelle Louis XVIII avait quitté la capitale, étaient des traîtres. Fouché fut chargé d'en établir la liste. Talleyrand déclara à son sujet : « Il y a une justice à rendre à M. le duc d'Otrante, c'est qu'il n'a oublié sur la liste aucun de ses amis ».

Sur les 110 noms que la liste comportait à l'origine, le roi en retint, dans son ordonnance du 24 juillet 1815, 57, le Maréchal Ney en tête. Cette ordonnance comprenait deux catégories de noms et réglait leur mode de jugement.

Le Maréchal est alors arrêté près d'Aurillac.

Le Roi qui avait appliqué à la situation la fermeté que réclamaient à la fois les alliés et la sûreté de son trône, n'en déclara pas moins : « L'arrestation de Ney nous fera plus de mal que sa trahison du mois de mars ».

Le Maréchal arrive à Paris sous escorte le 19 août. Il est aussitôt incarcéré à la Conciergerie. L'instruction se borna à trois séances d'interrogatoires au dépôt de police dont le préfet Decazes se chargea lui-même.

Talleyrand

LE CONSEIL DE GUERRE SE DECLARE INCOMPETENT

Le conseil de guerre devait juger le maréchal Ney. Il restait cependant à composer : il devait nécessairement comprendre des maréchaux de France et la présidence en revenait de droit à leur doyen, le maréchal Moncey, duc de Conegliano.

Maréchal Jourdan

Mais celui-ci se récusa dans une lettre adressée au Roi : «...Qui, moi ? j'irais prononcer sur le sort du maréchal Ney ? Mais, sire, permettez-moi de demander à Votre Majesté où étaient les accusateurs tandis que Ney parcourait les champs de bataille ?... ». Mécontent, le Roi destitua Moncey et lui infligea trois mois de prison. Le maréchal Jourdan fut alors désigné pour présider le conseil de guerre.

Ney est assisté par Berryer père et Dupin. Berryer, connu pour ses opinions monarchistes, est désavoué par ses collègues : « Que vous vous disposiez à défendre le maréchal du crime de haute trahison dont il est forcé de s'accuser lui-même, c'est ce que personne ne veut croire... ».

Le maréchal Ney ne souhaite pas être jugé par ses anciens camarades dont il craint la rancune à la suite d'incidents passés. Ney a été élevé à la pairie par Louis XVIII ; il peut donc exiger d'être jugé par la Chambre des pairs. Si juridiquement l'idée est défendable, elle l'est beaucoup moins d'un point de vue tactique car la Chambre des pairs est en effet constituée de royalistes convaincus et, par conséquent, dans leur majorité farouchement hostiles à l'accusé. Cependant Berryer et Dupin acceptent le point de vue de leur client et cherchent à gagner du temps.

Ainsi, devant le parterre de maréchaux et de généraux qui composent le conseil de guerre, l'accusé dédaigne de répondre à l'interrogatoire d'identité et déclare, à la stupéfaction générale, décliner la compétence du tribunal. Pair de France au moment où se sont déroulés les faits dont il est accusé, il demande, en se fondant sur les articles 33 et 34 de la Charte, son renvoi devant la Chambre des pairs.

Le conseil se retire et par 5 voix contre 2 se prononce pour l'incompétence. Ney est ravi et félicite son défenseur : « Ah ! Monsieur Berryer, vous m'avez rendu un grand service ! Voyez-vous, ces gens-là m'auraient fait fusiller comme un lapin. ». On comprend mal sa satisfaction car la défense vient de laisser échapper la seule chance qu'avait Ney d'éviter le peloton d'exécution. Ainsi que Lamartine l'observe : « Les maréchaux et les généraux pouvaient se souvenir de ses exploits : les pairs ne connaîtraient que son crime ».

Ainsi, le 10 novembre, le conseil de guerre, faisant droit à la requête des défenseurs de Ney, se déclarant incompétent, Ney sera jugé par la Chambre des pairs.

CHRONOLOGIE D'UNE MORT ANNONCEE

10 novembre : le Conseil de guerre se déclare incompétent

11 novembre : la Chambre des pairs est constituée en Cour de justice et le procureur général Bellart désigné pour soutenir l'accusation. Le duc de Richelieu, président du Conseil des ministres, monte à la tribune pour la saisir des poursuites contre le Maréchal : « Ce n'est pas seulement au nom du Roi que nous remplissons notre office, c'est au nom de la France..., c'est même au nom de l'Europe ». C'est l'indignation parmi les pairs. De plus, l'ordonnance prise par le Roi stipule que la Chambre des pairs, qui n'a pas de précédent en matière juridictionnelle, se réunira dans les formes prévues pour les propositions de loi, à huis clos. Mais les pairs n'entendent pas expédier le Maréchal comme un projet de loi.

Duc de Richelieu

12 novembre : devant la réaction des pairs, une nouvelle ordonnance est rédigée. Elle ordonne que le procès sera instruit et jugé selon les formes édictées par le Code d'instruction criminelle pour les cours spéciales. A l'instar de tout procès criminel, le procès devant la Chambre des pairs comprendra donc deux phases : la première, secrète, consacrée à l'instruction puis à la mise en accusation, la seconde, publique, pour les débats contradictoires et le prononcé du jugement.

13 novembre : la Chambre décide que les pairs qui sont ministres et ceux qui sont entendus comme témoins ne participeront pas au jugement et que seuls les pairs qui ont participé à toutes les séances pourront prendre part au jugement. Le procureur général Bellart donne lecture de son réquisitoire qui commence ainsi : « Un attentat aussi inconnu jusqu'ici dans l'histoire de la loyauté militaire de toutes les nations qu'il a été désastreux pour notre pays, a été commis par le maréchal Ney. » Il manifeste une hâte surprenante : « Un si atroce forfait doit être puni... Il doit l'être sans délai... L'impunité ne fut déjà que trop longue ».

14 et 15 novembre : le baron Séguier procède à l'instruction

16 novembre : séance de procédure. Le baron Séguier expose les charges résultant de l'instruction et le secrétaire-archiviste donne lecture des pièces dont cette instruction se compose.

17 novembre : le procureur général présente l'acte d'accusation. 159 pairs se prononcent en faveur du réquisitoire et 2 votent contre.

21 novembre : commencement du procès public. Ouverture des débats - demande d'un délai par les avocats.

4 , 5 et 6 décembre : déroulement des débats

7 décembre : à trois heures du matin la sentence est lue, à neuf heures, le Maréchal est fusillé.

LE DEROULEMENT DU PROCES

LE DECOR

La Chambre des pairs siège dans la partie centrale de l'actuelle salle des conférences qui comprend deux hémicycles : celui de la présidence, adossé au mur du jardin et, en face, celui des pairs, trois fois plus grand, dos à la cour d'honneur. La publicité des séances nécessite l'établissement de tribunes provisoires. Aux tribunes réservées aux officiels, on a ajouté trois tribunes drapées de toile verte pour un public trié sur le volet. Les femmes ne sont pas admises à assister au procès.

Au-dessus du bureau du président trois mots en grandes lettres d'or : « Sagesse - Tolérance - Modération », une devise pour les débats... En contrebas, à sa droite, le bureau du ministère public, à sa gauche, celui du greffier en chef et de ses commis. Dans l'espace laissé libre pour la circulation intérieure entre les deux hémicycles, à droite du président on place les journalistes et à gauche on installe une table et un fauteuil pour l'accusé, deux chaises pour ses avocats.

Derrière la place de l'accusé, on construit, parallèlement au mur donnant sur le jardin « un couloir en planches, drapé de toile verte » qu'il devra obligatoirement emprunter pour entrer dans la salle et en sortir. En face de ce couloir, derrière les places réservées à la presse, on installe un corridor semblable par lequel doit passer le public admis aux séances.

LES ACTEURS

Le Président :     le Chancelier Dambray : élu député de la Seine au Conseil des Cinq-Cents le 28 vendémiaire an IV, il refuse ce mandat et n'accepte de l'Empire que la décoration de la Légion d'honneur et la place de juge de paix avec les fonctions de membre du conseil général de la Seine-Inférieure. Avant de recevoir la croix d'honneur il consulte sa mère qui lui répond : « Mon fils, il faut accepter toutes les  croix que le ciel nous envoie ». Partisan de la résistance à outrance, il ne quitte Paris que le 20 mars 1815. Pendant les Cent-Jours il se réfugie en Angleterre et à Gand et reprend la présidence de la Chambre des pairs à son retour.

 

 

L'avocat : Berryer père. Presque sexagénaire au moment du procès il approche du terme d'une carrière commencée sous de brillants auspices. Dans ses mémoires intitulées «Souvenirs de M. Berryer, doyen des avocats de Paris de 1774 à 1838 » il rappelle qu'il n'a pu parvenir au Bâtonnat pour avoir sous Louis XVIII défendu le Maréchal Ney qui avait rejoint Napoléon durant les Cent Jours. «J'avais pourtant satisfait, dit-il, à tous les devoirs de bienséance, avant de me charger de la défense du Maréchal. Ayant mon deuxième fils au nombre des gardes du corps, je l'avais chargé de remettre au Roi une lettre de déférence. Le Roi m'avait fait répondre par M. le Chancelier dans des termes rassurants pour mon indépendance... ». Son fils aîné, l'illustre Berryer, deviendra un grand avocat et un grand parlementaire. Il l'assista dans le procès du maréchal Ney et on lit dans ses notes que l'avocat du maréchal avait contre lui toutes les passions de l'époque.

 

 

Chevalier Cauchy

Le procureur : Bellart : avant de devenir avocat, il s'est adonné à l'étude du droit en même temps qu'à la déclamation dramatique. Ayant d'abord encensé Napoléon qui le nomme membre du conseil général du département de la Seine dont il fut à plusieurs reprises le président et l'orateur, il présente à l'empereur nombre d'adresses où le chef de l'Etat est divinisé. Il n'hésite pourtant pas, lors de la chute de ce dernier, à signer le réquisitoire qui le présente comme « le plus épouvantable oppresseur qui ait pesé sur l'espèce humaine ». Sous la première Restauration, il devient conseiller d'Etat et reçoit de Louis XVIII le ruban de la Légion d'Honneur. Pendant les Cent-Jours il part pour l'Angleterre. Nommé procureur général le 14 août 1815, il employa dès lors tous ses efforts à la défense « du trône et de l'autel ». Juste avant sa nomination, il fut pressenti par le beau-frère du Maréchal Ney pour assurer la défense de ce dernier.

 

 

Le rapporteur : le baron Séguier. Reçu avocat en 1789, il participa à la rédaction du code civil. Baron de l'Empire, il témoigna d'abord à Napoléon un enthousiasme sans bornes : « Napoléon est au-delà de l'histoire humaine... il est au-dessus de l'admiration ». Il n'en proposa pas moins la déchéance de l'Empereur avant d'aller témoigner son admiration à Louis XVIII. Napoléon le destitua pendant les Cent-Jours et Louis XVIII le nomma pair de France et le rétablit dans sa charge de premier président. Il fait preuve de beaucoup de zèle en mobilisant le jour même de sa nomination 4 huissiers qui citeront 16 témoins pour le lendemain.

 

 

Le témoin à charge : le Comte de Bourmont : Il naît en 1773 au château de Bourmont, dans une famille d'officiers au service du roi, d'ancienne noblesse, implantée en Anjou depuis le 13e siècle. Il émigra en 1791, et combattit dans l'armée des princes, puis dans l'armée vendéenne où il prit la tête des Chouans. Après le coup d'Etat de Brumaire, il déposa les armes, et fut rayé de la liste des émigrés. Il fut un collaborateur zélé de Napoléon qui avait confiance dans ses talents militaires. Dès que les Bourbons furent remontés sur le trône, il s'empressa de les reconnaître et reçut le commandement supérieur de la 6e division militaire et le titre de grand-officier de la Légion d'honneur. Il parvint encore à s'insinuer pendant les Cent-Jours dans les bonnes grâces de l'Empereur mais déserta ses troupes à la veille de la bataille de Waterloo pour passer à l'ennemi. Au procès sa déposition fut capitale pour la condamnation du maréchal Ney.  

 

 

L'honnête homme : le duc de Broglie. Né en 1785, il a neuf ans lorsque son père périt sur l'échafaud. Il fut auditeur au conseil d'Etat en 1809 puis attaché aux ambassades de Varsovie et de Vienne. Il se lia d'amitié avec M. de Talleyrand qui le fit comprendre dans la première promotion des pairs de la Restauration. Lors du procès du maréchal Ney, il n'avait atteint que depuis peu de jours l'âge de 30 ans pour prendre part aux délibérations de la Chambre haute. Il revendiqua ce droit au moment du jugement. Il est le seul à avoir répondu par la négative à la question « Le maréchal Ney a-t-il commis un attentat contre la sûreté de l'Etat ». Dans ses Mémoires, il raconte : « C'était la première fois que j'entrais en scène et prenais la parole et j'allais débuter par casser les vitres. Le moment venu, je me levai, et, pour ne pas être tenté de faiblesse en me perdant dans mes raisonnements, je répondis sur-le-champ « non » à la question ».

LES SEANCES

21 novembre 

A huit heures les portes s'ouvrent pour les personnes munies de billets d'entrée. Dans l'assistance se trouvent le prince royal de Wurtemberg, le prince de Metternich, le comte de Goltz, ambassadeur de Prusse, et plusieurs généraux étrangers.

Le président-chancelier Dambray ouvre la séance à 10 heures et demie et recommande au public qui se presse dans les tribunes d'observer «le silence religieux dans lequel, autant par ce sentiment que par égard pour le malheur, il doit écouter les débats qui vont s'ouvrir devant lui ».

A 11 heures précises, escorté de grenadiers royaux et accompagné de ses avocats, Ney fait son entrée dans la Chambre des pairs : il est vêtu d'un frac bleu et porte les épaulettes de général, le grand cordon de la Légion d'Honneur et le cordon de Saint-Louis qu'un an plus tôt Louis XVIII lui a décerné.

Le chevalier Cauchy, archiviste de la Chambre, qui fait fonction de greffier, procède à l'appel des pairs : ils sont 161.

Après l'interrogatoire d'identité de l'accusé, le président fait procéder à la lecture de l'acte d'accusation. Celui-ci, pour l'essentiel rédigé par Bellart, est daté du 16 novembre 1815 à midi et signé par tous les ministres. Il rappelle que Ney a juré au roi le 7 mars 1815 qu'il lui ramènerait Napoléon dans une cage de fer et que le 14 mars il lut devant ses troupes la fameuse proclamation qui consacrait sa trahison. 

Le ministère l'accuse en conséquence « d'avoir entretenu avec Buonaparte des intelligences à l'effet de lui faciliter, à lui et à ses bandes, leur entrée sur le territoire français et de lui livrer des villes, forteresses, magasins et arsenaux, de lui fournir des secours en soldats et en hommes et de seconder le progrès de ses armes sur les possessions françaises, notamment en ébranlant la fidélité des officiers et soldats... d'avoir, par discours tenus en lieux publics, placards affichés et écrits imprimés, excité directement les citoyens à s'armer les uns contre les autres ; d'avoir excité ses camarades à passer à l'ennemi ; enfin d'avoir commis une trahison envers le Roi et l'Etat, et d'avoir pris part à un complot dont le but était de détruire et changer le gouvernement et l'ordre de successibilité au trône, comme aussi d'exciter la guerre civile en armant ou portant les citoyens et habitants à s'armer les uns contre les autres... ».

La lecture achevée, le Chancelier Dambray déclare à l'accusé : « Le crime dont on vous accuse est odieux à tous les bons Français. Mais ce n'est pas dans la Chambre que vous avez des haines à craindre. Vous y trouverez plutôt des intentions favorables dans les souvenirs glorieux attachés à votre nom. ». La suite des débats montra que ces « intentions favorables » restèrent bien cachées. Il lui donne ensuite la parole afin qu'il puisse présenter ses moyens préjudiciels.

Un débat s'engage alors entre le procureur général et les avocats qui réclament « vu la réserve portée en l'article 4 de la Charte constitutionnelle et attendu qu'une loi devient nécessaire aussi pour le complément de l'article 34 » qu'il soit « sursis à toute poursuite de l'accusation jusqu'à ce que, par une loi générale organique et formelle, la procédure à suivre devant la Cour des pairs soit faite en matière criminelle de ses attributions. », le gouvernement n'ayant pas le droit de substituer à cette loi les ordonnances des 11 et 12 novembre. Par l'article 33 de la Charte, la Chambre des pairs connaît des crimes de haute trahison, mais une loi est nécessaire pour définir le crime dont le maréchal est accusé. « Il n'y a pas de justice là où il n'y a pas de loi » s'écrie Dupin.

Après délibération, lecture est faite de l'arrêt de la chambre qui rejette les conclusions présentées au nom du Maréchal et le président déclare que l'accusé sera tenu de présenter cumulativement ses autres moyens préjudiciels. La chambre s'ajourne au jeudi 23 novembre.

23 novembre 

Le débat de procédure se poursuit. D'autres moyens de nullité sont invoqués par Berryer et réfutés par la Chambre. Les avocats demandent à plusieurs reprises un délai pour faire citer les témoins de la défense. Ce délai leur est accordé. Ils obtiennent aussi l'abandon de l'accusation de préméditation.

4 décembre

Dans une séance secrète, la Chambre des pairs décide que pour le jugement à intervenir dans l'affaire du maréchal Ney, les cinq-huitièmes des voix seront nécessaires.

La séance publique s'ouvre par la lecture de la liste des témoins. On en compte 37 appelés à la requête du ministère public, 4 à la requête de l'accusé. Après constatation de son identité, le Maréchal Ney déclare : « Je vais répondre à toutes les inculpations, sauf la réserve de faire valoir par mes défenseurs les moyens tirés de l'article 12 de la convention du 3 juillet et des dispositions de celle du 20 novembre 1815 ».

L'interrogatoire du maréchal est mené par le chancelier Dambray. Le maréchal reprend les faits à partir du moment où il a reçu ordre du ministre de la guerre de se rendre à Besançon. A propos de sa visite au roi il précise : « Sur ce que je suis censé lui avoir dit que je ramènerais Buonaparte dans une cage de fer, dussé-je être fusillé, lacéré en mille morceaux, je ne me rappelle pas l'avoir dit. J'ai dit que son entreprise était si extravagante, que si on le prenait, il mériterait d'être mis dans une cage de fer. ». Au sujet de la proclamation il explique qu'il demanda leur avis personnel aux généraux de Bourmont et Lecourbe qui ne présentèrent aucune objection.

Les témoins sont alors entendus. Parmi les témoins à charge, la déposition du lieutenant-général comte de Bourmont est capitale et donne lieu à un échange vif entre ce dernier et le Maréchal Ney. Bourmont entame sa déposition en déclarant : « J'ai su que le maréchal affirmait que j'avais connu et approuvé ses projets et sa défection ; cette assertion m'oblige à des explications... ». Il prétend s'être opposé, de concert avec le général Lecourbe (mort depuis), à la lecture de la proclamation. Ney rappelle ce qui s'est passé : « J'avais la tête baissée sur cette proclamation fatale, je vous sommais, au nom de l'amitié, de dire ce que vous en pensiez. Vous l'avez lue, vous l'avez approuvée... Je me bornais à demander vos lumières et vos conseils parce que je vous croyais assez d'énergie et assez d'affection pour moi pour me dire : « Vous avez tort ». Au lieu de cela, vous m'avez entraîné, jeté dans le précipice... ». Le général prétendra ensuite n'être resté au rassemblement et au banquet que pour voir ce qui allait se passer. Il dit ensuite sa conviction que la résistance était possible. Ney lui rétorque : « Je n'avais que quatre misérables bataillons qui m'auraient pulvérisé si j'avais ordonné de marcher pour le Roi. J'ai eu tort, pas de doute ; mais j'ai eu peur de la guerre civile. J'aurais marché sur 40 000 cadavres avant d'arriver à Buonaparte » et peu après, avec un indicible mépris : « Est-ce que vous auriez marché dans cette position ? Je ne vous crois pas capable de cela. Non : vous n'avez pas assez de caractère. ». Ce même Bourmont, après avoir accepté le commandement de la 6e division, abandonna ses troupes la veille de la bataille de Fleurus et passa à l'ennemi pour rejoindre Louis XVIII.

5 décembre 

L'audition des témoins se poursuit.

Le marquis de Soran, aide de camp de Monsieur, atteste que Ney lui a dit le 13 mars : « Les troupes se battront ; je tirerai, s'il le faut, le premier coup de fusil ou de carabine, et si un soldat bronche, je lui passerai mon épée au travers du corps, et la poignée lui servira d'emplâtre. ». Le président s'étonne : « Comment, M. Le maréchal, après avoir pris ces longues et sages dispositions avez-vous pu être conduit le 14 à un résultat si différent ? ». Le maréchal répond : « Votre observation est juste ; mais les événements ont été si rapides, une tempête si furieuse s'est formée sur ma tête, que chacun m'abandonnant, chacun cherchant à se sauver à mes dépens, et en me sacrifiant, j'ai été entraîné à l'action que vous connaissez. »

Les derniers témoins entendus, sinon écoutés, sont ceux de la défense : le maréchal Davout, prince d'Eckmühl, le comte de Bondy, ancien préfet de la Seine, le comte Guilleminot, chef d'état-major de l'armée. Leur déposition porte sur la convention de capitulation du 3 juillet 1815. Le 3 juillet, sur ordre du gouvernement provisoire, le maréchal Davout a conclu avec Blücher et Wellington une convention, signée du côté français par le comte Guilleminot et le comte de Bondy. L'article 12 précise que « tous les individus qui se trouvent dans la capitale continueront à jouir de leurs droits et libertés, sans pouvoir être inquiétés ni recherchés en rien, relativement aux fonctions qu'ils occupent ou auraient occupées, à leur conduite et à leurs opinions politiques ». Le Président ne permet pas au maréchal Davout de donner son interprétation de l'article 12 lorsque Berryer le lui demande. Le maréchal Ney déclare alors « La déclaration était tellement protectrice que c'est sur elle que j'ai compté. Sans cela, croit-on que je n'aurais pas préféré de périr le sabre à la main. C'est en contradiction de cette capitulation que j'ai été arrêté, et sur sa foi que je suis resté en France ».

Bellart entame alors son réquisitoire. Il s'exprime dans un style emphatique et pompeux qui prêterait à sourire en d'autres circonstances : « ...lorsqu'au fond des déserts, autrefois couverts de cités populeuses, le voyageur philosophe qu'y conduit cette insatiable curiosité... ». Parlant de l'accusé : « S'il a servi l'Etat, c'est lui qui contribua le plus puissamment à le perdre : il n'y a rien que n'efface un tel forfait. » Il centre son discours sur la nuit du 13 au 14 mars : « En une seule nuit, le maréchal était perverti. Il devient traître à son roi et perfide à sa patrie !... Il n'est point un de ces hommes qui puisse chercher quelque excuse dans leur ignorance. Le maréchal Ney, au premier rang de nos guerriers, l'un des citoyens les plus illustres qui firent longtemps la gloire de la France, ne devait chercher sa conduite que dans ses devoirs.... ».

6 décembre

« Cette séance a fait époque dans ma vie » a écrit le duc de Broglie.

Dans une séance préliminaire secrète, la Chambre, s'appuyant sur une motion du comte de Tascher, décide que le Président doit s'opposer à la lecture de la convention du 3 juillet et à la discussion des moyens que prétendraient en tirer les défenseurs de l'accusé. Quatre pairs seulement se sont opposés à cet arrêt : le duc de Broglie, M. Lenoir-Laroche, M. Porcher de Richbourg et le comte Lanjuinais.

A l'ouverture de la séance publique, la parole est donnée à Berryer pour sa plaidoirie. Il se félicite tout d'abord de voir écartée l'accusation de préméditation : « ce précurseur ordinaire du crime, celui sans lequel il est rare qu'il puisse exister, a disparu entièrement ». Le défenseur s'attache alors à la réfutation de l'acte d'accusation et des six chefs de criminalité dont il se compose. Il conclut de tous les faits et de tous les rapprochements que, dans la nuit même du 13 au 14 mars, la cause des Bourbons n'avait pas de zélateur plus franc, plus animé, plus résolu à s'y dévouer que le maréchal Ney. Puis il passe à l'examen des causes du changement. Il évoque les causes générales, l'extraordinaire singularité dans les annales du monde au coin de laquelle fut frappée la tentative de Bonaparte, son évasion inexpliquée, sa descente et sa marche rapide, la stupéfaction universelle, le trouble général qui a déconcerté toutes les mesures et rendu nuls tous les moyens de détourner cette calamité. Pourquoi veut-on que le maréchal Ney n'ait pas pu sans crime se laisser ébranler le 14 mars par cette apparition si imprévue et si désastreuse et par le torrent qu'elle entraînait avec elle ? 

Il examine ensuite les causes secondaires qui ont agi sur le maréchal et l'ont emporté loin de ses volontés : sa ligne de défense est dépassée, il est inférieur en force, il n'a point d'artillerie à opposer à celles de Grenoble et de Lyon, les nouvelles de Dijon sont effrayantes, ses lettres au ministre de la guerre restées sans réponse, la lettre du général Bertrand et ses insidieuses assertions. Il conclut qu'il n'a point conduit son armée mais a été emporté par elle, comme tant d'autres officiers.

A la fin, épuisé, Berryer demande à la Cour de remettre au lendemain l'audition des moyens de droit qu'il se propose de développer. Cette requête, pourtant légitime, indigne le procureur général et Berryer n'obtient qu'une suspension d'une heure et demie.

A quatre heures et demie Berryer continue sa plaidoirie et démontre aux juges que dans tous ses actes le seul mobile de Ney a été sa patrie. « Les formes du gouvernement ont changé bien des fois pendant la vie militaire du maréchal Ney ; elles l'ont toujours trouvé attaché uniquement au bien public, au bonheur et à la gloire de son pays ». Il tente ensuite d'établir que l'action criminelle ne peut pas être intentée contre le maréchal parce qu'il y a eu remise de la criminalité et que l'Europe n'avait voulu sévir que contre Bonaparte. Bellart s'indigne : « C'est dans nos lois qu'il faut que le maréchal cherche sa défense et non dans les traités des puissances étrangères » et il donne lecture du réquisitoire des commissaires du roi s'opposant à ce que ce moyen soit employé : « ...la dignité nationale ne permet pas d'invoquer dans les tribunaux français une convention faite par les agents d'un parti en révolte directe contre le roi légitime... la Chambre a ordonné que l'accusé présenterait en avant des débats tous ses moyens préjudiciels à la fois, ce qui a été fait... le fond de l'affaire ne peut être mélangé de discussions de droit qu'il n'est plus temps d'établir quand on est arrivé au moment où la conscience des juges ne peut plus s'occuper que de points de fait... la discussion sur l'exécution de la convention militaire du 3 juillet ne touche en rien au fait du procès... une opposition formelle est faite tant à la lecture de ladite convention qu'à toute discussion qu'on en pourrait vouloir faire sortir ».

Berryer se rassied et se tait tandis que Dupin cherche à plaider que Ney, étant né à Sarrelouis, n'est plus Français, cette ville ayant été annexée par l'étranger. C'est une curieuse façon de défendre le plus glorieux des maréchaux de France. D'ailleurs Ney réagit vivement et déclare : « Je suis Français et je mourrai Français ». Il ajoute : « Jusqu'ici ma défense a paru libre. Je m'aperçois qu'on l'entrave à l'instant ». Il défend à ses avocats de parler à moins qu'on ne leur permette de parler librement. Le procureur général saisit cette occasion : « Puisque le Maréchal veut clore les débats, nous ne ferons plus, de notre côté, de nouvelles observations ».

Bellart fait lecture du réquisitoire sur lequel la Chambre va devoir délibérer ; celui-ci conclut à l'application de la peine capitale.

A cinq heures, les débats sont déclarés clos. La séance se poursuit en secret.

LA DELIBERATION DES PAIRS

Les pairs présents étaient au nombre de 161. La discussion fut ouverte sur la culpabilité de l'accusé et sur la peine applicable. Lally-Tollendal pensa qu'à l'exemple de l'Angleterre, la Chambre, considérée comme un grand jury, devait se borner à la déclaration du fait. Le comte Lanjuinais affirma que rien ne l'empêcherait d'exposer, dès la première question, son opinion tout entière. Le marquis d'Aligre proposa de ne point séparer le délit et la peine et de voter en même temps sur les deux questions.

Marquis d'Aligre

La Chambre arrêta qu'on poserait trois questions sur le fait et une sur la peine.

Le président avertit la Chambre qu'elle serait appelée à délibérer sur chacune des questions et que chaque pair voterait librement selon sa conscience, sans être astreint à aucune formule. A la demande du comte de Nicolaï, le vote de chaque pair sur l'application de la peine ne serait considéré comme définitif qu'après un second appel nominal lors duquel ceux qui auraient voté pour la peine la plus sévère, pourraient passer à  une peine moindre.

Trois questions de fait sont donc d'abord posées. Leur formulation est telle que la condamnation paraît inévitable.

Première question : le maréchal Ney a-t-il reçu des émissaires dans la nuit du 13 au 14 mars ? L'appel nominal donne les résultats suivants : 111 voix pour, 47 contre. Le comte Lanjuinais, le marquis d'Aligre et le comte de Nicolaï s'abstinrent, protestant qu'ils ne pouvaient juger en conscience, attendu qu'on avait refusé à l'accusé le droit de se faire entendre sur la convention de Paris.

Deuxième question : le maréchal Ney a-t-il lu, le 14 mars, une proclamation invitant les troupes à la défection ? Trois membres, ceux qui Venaient de protester, votent contre, et 158 votent pour.

Troisième question : le maréchal Ney a-t-il commis un attentat contre la sûreté de l'Etat ? Le résultat donne 157 voix pour, 3 voix pour avec atténuation et 1 voix contre. Lanjuinais a répondu « oui » mais en ajoutant « couvert par la capitulation de Paris » ; d'Aligre et de Richebourg « oui » mais en faisant appel à la générosité de la Chambre. Le vote négatif est celui du duc de Broglie, le plus jeune des pairs de France qui déclare « Je ne vois dans les faits justement reprochés au maréchal Ney ni préméditation ni dessein de trahir. Il est parti très sincèrement résolu de rester fidèle ; il a persisté jusqu'au dernier moment. » Et dans ses Mémoires il se souvient : « Nous délibérions dans une atmosphère d'intimidation dont le poids était étouffant. »

La dernière question porte sur la peine à appliquer.

Lanjuinais, soutenu par Malville, Lemercier, Lenoir-Laroche et Cholet, tente de faire adopter la peine de déportation que 17 pairs voteront ; parmi eux, le duc de Broglie.

Cinq pairs, le comte de Nicolaï, le marquis d'Aligre, le comte de Brigode, le comte de Sainte-Suzanne et le duc de Choiseul-Stainville, tout en s'abstenant, proposent de recommander le Maréchal à la clémence du Roi.

Comte
Ferrand

Finalement, 139 voix, réduites à 128, à cause d'avis semblables entre parents, réclament la peine de mort.

Parmi ceux qui ont voté la mort : 5 maréchaux d'Empire (Sérurier, Kellermann, Pérignon, Victor et Marmont), le vicomte de Chateaubriand, le comte Ferrand surnommé « le Marat blanc » et le comte Lynch nommé par Napoléon maire de Bordeaux, comte de l'Empire et Chevalier de la Légion d'Honneur, qui ira jusqu'à réclamer la guillotine.

En outre, non content d'avoir obtenu la condamnation du maréchal, Bellart requiert qu'il soit rayé des cadres de la Légion d'Honneur.

La sentence est rendue à 11 heures et demie du soir. Les pairs appliquent la règle du conseil de guerre et la lisent en l'absence de l'accusé. 

Les défenseurs ayant compris que tout espoir est perdu n'assistent pas à la lecture de l'arrêt et se rendent dans la cellule qu'occupe depuis deux jours au Palais du Luxembourg le Maréchal. C'est une petite pièce située au troisième étage sous les combles, à l'extrémité ouest de la galerie où le Sénat conservateur avait installé ses archives, au-dessus de l'actuelle salle des conférences. Une plaque de marbre y a été apposée en 1935.

LES DERNIERES HEURES DU MARECHAL NEY

Pendant la lecture de la sentence, les défenseurs du Maréchal vont le voir dans sa cellule. Ils le trouvent en train de dîner très tranquillement : « Je suis sûr que M. Bellart ne dîne pas avec autant d'appétit que moi » leur déclare-t-il. Puis il embrasse ses défenseurs et les remercie chaleureusement de leurs efforts.

Après leur départ, il se met à rédiger ses dernières dispositions et se jette tout habillé sur son lit pour y dormir paisiblement.

A 3 heures du matin, le secrétaire-archiviste de la Chambre des pairs, Cauchy, le réveille pour lui communiquer la sentence. Le général de Rochechouart, qui commande la place de Paris, l'informe qu'il pourra recevoir trois visites : sa femme, son notaire et son confesseur.

La Maréchale vient rendre visite à son mari dans la cellule avec leurs quatre enfants. Elle s'évanouit en apprenant la sentence. C'est en vain qu'elle implorera sa grâce auprès de Louis XVIII.

Ney écrit une dernière fois à son beau-frère : « ...Avant 24 heures je paraîtrai devant Dieu avec des regrets amers de ne pas avoir pu être plus longtemps utile à ma patrie ; mais il saura, ainsi que je l'ai dit devant les hommes, que je me sens exempt de remords... ». Puis il s'entretient avec le curé de Saint Sulpice.    

A 8 h 30 une voiture vient chercher Ney. Une pluie fine tombe. Au curé de Saint-Sulpice qui se range pour le laisser passer, il déclare : « Montez monsieur le curé, tout à l'heure je passerai premier ». Le cortège s'arrête avenue de l'Observatoire.   

 

Le Maréchal refuse qu'on lui bande les yeux et, s'adressant aux soldats :

« Camarades, tirez sur moi et visez juste ! ».

Rochechouart rapporte qu'il prononça également les paroles suivantes :

« Français, je proteste devant Dieu et la patrie contre le jugement qui me condamne. J'en appelle aux hommes, à la postérité, à Dieu. Vive la France ! ».

Puis il s'écroule sous les balles. 

 

Monument
funèbre érigé par le peuple sur l'emplacement où le maréchal Ney a été fusillé
en 1815

Le verdict de la Cour des Pairs et la mort du Maréchal Ney ont rempli de satisfaction les Ultras qui criaient vengeance ; mais l'évolution de l'opinion publique se révéla différente : elle ne se souvint plus que des faits d'armes et de la bravoure de Ney. Le mur de l'avenue de l'Observatoire devint un lieu de pèlerinage, on pouvait y lire une inscription que la police essayait vainement d'effacer : "Ici est mort l'Achille français".

En 1830, les habitants de la Moselle, département de naissance du Maréchal, demandent le transfert de ses cendres au Panthéon. 

En décembre de la même année, le Théâtre de la Porte Saint Martin annonce la représentation d'un drame historique de Fontan et Dupeuty "Le procès d'un maréchal de France" en quatre tableaux. Convoqués chez le ministre de l'intérieur, le comte de Montalivet, les auteurs acceptent de retirer leur pièce de l'affiche. Elle resurgit à la fin 1831, au Théâtre des Nouveautés. Interdite "par ordre de l'autorité" juste avant la représentation, le public qui attendait, proteste, se montre menaçant et le directeur du théâtre, pour éviter l'émeute, ferme sa salle.

Le 16 décembre 1834, lors d'un nouveau procès devant la Cour des Pairs, les accusés évoquent la condamnation du Maréchal Ney et la présentent comme un assassinat ; le président Pasquier considère ces propos comme offensants ; le général Exelmans affirme : "Oui, la condamnation du maréchal Ney est un assassinat juridique". Cet incident a des répercussions jusqu'à la cour où l'héritier du trône, le duc d'Orléans, s'offre à demander la révision du procès.  

Le président Pasquier prévient alors qu'il remettra sa démission, suivie de celle d'autres juges, dans le cas où suite serait donnée à cette demande. Le roi Louis-Philippe doit intervenir auprès de son fils.

Douze ans plus tard, en 1846, c'est le fils du Maréchal Ney qui somme la Chambre des Pairs de réviser le procès de son père. 

 

UN MONUMENT

C'est finalement le 8 mars 1848 que le Gouvernement provisoire décide d'ériger un monument à la gloire du Maréchal sur les lieux mêmes où il tomba au 43 rue de l'observatoire. D'après un journal de l'époque le peuple, devançant le gouvernement, a déjà élevé un tumulus "comme par enchantement. Mille mains ont apporté quelque tribut : les fleurs, les trophées, les couronnes mortuaires, les ex-voto patriotiques  ; ce n'est déjà plus un tombeau, c'est un sanctuaire que l'arbre de la liberté couvre de son ombre et que protège la baïonnette de l'ordre public".

 

Le 20 février 1850, Ferdinand Barrot dans son rapport au Président de la République indique que ce monument fort simple ne doit pas être "considéré comme la marque publique d'un irritant souvenir mais seulement, comme le signe d'une réhabilitation proclamée déjà par le cri de la conscience publique".

La statue est confiée à François Rude et le piédestal à Alphonse de Gisors, l'architecte du Palais du Luxembourg. Rude souhaite représenter le Maréchal au moment de son exécution, tête nue, fixant la mort avec dédain et indiquant de son index l'endroit où il fallait tirer, le cœur. Cette idée n'est pas très appréciée de l'entourage de Napoléon III : il veut bien réhabiliter la mémoire du Maréchal Ney, mais sans froisser les susceptibilités d'un parti dont il cherche l'appui. On fait alors comprendre à Rude qu'il convient de "rappeler la gloire plutôt que les malheurs du maréchal." Rude accepte.

L'inauguration du monument a lieu le 7 décembre 1853 en présence du ministre de la guerre, le maréchal de Saint Arnaud, de deux des fils du Maréchal Ney et d'une députation de Sarrelouis.

 

Les petites feuilles vendues ce jour-là, dans les rues par les crieurs publics, décrivent ainsi la statue : "M. Rude a représenté le maréchal dans l'immortelle attitude du commandement, le sabre nu au poing, le feu de l'enthousiasme dans le regard, foulant un sol fait de débris et de mitraille, tel que nos pères le virent à Elchingen, à Smolensk, à la Moskowa, à la Bérézina, à Montmirail, le bras levé comme la tête, avec ce geste qui lui était habituel, et que la grande armée appelait le bras de Ney".

Le prolongement dans Paris de la ligne de Sceaux en 1892 provoque le déplacement du monument de l'autre côté de l'avenue, sur le terre-plein du boulevard Montparnasse, où on peut toujours le voir.