LE PRENEUR DE VILLES (1794-1800)
Il prend part au siège de Maestricht le 1er
novembre 1794 et, en décembre, à celui de Mayence où il est blessé. Kléber
lui annonce sa nomination comme général de brigade ; il refuse estimant ne
pas avoir mérité ce grade.
Guéri, il reprend sa place en février 1795
dans l'armée de Sambre et Meuse : il se distingue à Altenkirchen,
Friedberg, Dierdorff. Les citadelles de Wurtzbourg et de Forsheim
capitulent devant lui et lui valent le surnom de "preneur de
villes".
Il se distingue particulièrement dans la
campagne d'Allemagne de 1796, enlève Würzburg et Pforzheim, devient général
de brigade le 1er août 1796 à 27 ans, ainsi ceinturé de soie bleue.
Ses hommes lui ont
donné des surnoms : « l'Infatigable ou l'Infatt », « le
Rougeaud », « Michel le Rouge », « le Lion
rouge », à cause de sa tignasse.
Le bougre est rustique partageant la vie de
ses soldats qui l'adoraient. Les charges du corps de hussards qu'il
commande en 1797 contribuent aux victoires de Neuwied et de Dierdoff où, le 17 avril 1797, en voulant sauver une
pièce d'artillerie, son cheval est tué sous lui et il est fait prisonnier.. Il est rapidement rendu à la liberté peu après.
Quand la guerre reprend en 1798, il est affecté, au début de la deuxième
coalition, à l'armée du Rhin où Ney se rend fameux par un curieux fait d'armes : il s'empare de
Mannheim par la ruse, avec seulement 150 hommes ; la ville capitule le 2
mars 1799.
Il est promu général de division le 28 mars
1799 suite à un échange de lettres glaciales avec Bernadotte.
Il passe alors à l'armée du Danube sous les
ordres de Masséna ; le 15 mai 1799 à Winterthur, il est blessé à deux
reprises et doit céder son commandement.
Après de nouveaux exploits dans l'armée du
Danube, il est investi du commandement provisoire de l'armée du Rhin. Il
sert sous les ordres de Lecourbe (qui découvre sa susceptibilité
épidermique servie par une plume sans équivoque) quand il apprend le coup
d'état du 18-Brumaire. Républicain convaincu, il ne s'en réjouit pas mais
fait néanmoins acte d'adhésion au Consulat.
En 1800, sous le commandement de Moreau, il
fait à nouveau parler de lui pour sa participation à la bataille
d'Hohenlinden, le 3 décembre. Son attaque foudroyante fait 10.000
prisonniers, 87 bouches à feu tombées entre ses mains, le centre de l'armée
autrichienne est anéanti. Moreau comblé, étreint Ney sur le front des
troupes qui les ovationnent.
A partir de cette époque, il ne se passe
guère d’année où Ney n’attache son nom à une ou plusieurs victoires
éclatantes
NEY et
BONAPARTE (1801-1804)
Ney est avant tout un soldat et s'intéresse
assez peu à la politique : "C'est à mon pays que je me dévoue et
non pas à l'homme qu'il choisit pour le gouverner". Et c'est donc
avec réserve qu'il accueille le coup d'Etat du 18 brumaire.
Sa première rencontre avec Bonaparte date de
1801, après la paix de Lunéville. Le Premier Consul et son entourage
s'intéressent à lui et le marient à une amie de Hortense de Beauharnais, Aglaë Louise Auguie (1782-1853) qui lui donnera 4 fils. (Joseph-Napoléon, Michel Louis Félix,
Eugène Michel, Napoléon Henri Edgar).
Nommé ambassadeur auprès de la République
helvétique, alors en état de guerre civile larvée entre fédéralistes et
unitaires, Ney arrive en Suisse en octobre 1802, occupe Zurich, emprisonne
quelques insurgés et oblige les cantons à signer l'Acte de médiation, qui
est en fait une forme de protectorat.
C'est dans ce pays que Ney rencontre un jeune homme féru de
stratégie militaire, Antoine-Henri de Jomini, qui va devenir son premier
aide de camp.
Le 19 mai 1804, Napoléon, Empereur depuis la
veille, crée 14 maréchaux d'Empire dont Ney. Peu après, il est fait grand
officier de la
Légion d'honneur et est nommé chef de la 7ème
cohorte.
LE
« BRAVE DES BRAVES » (1805-1808)
Ney n'a pas son pareil pour mener les
attaques. Il fait cependant un pauvre stratège et l'Empereur aura toujours
soin de le diriger de près. En 1805, Ney se lance en campagne à la tête du
6ème corps. Il se couvre
de gloire à Güntzburg le 9 octobre 1805 puis à Elchingen le14 octobre 1805, il refoule les
Autrichiens vers Ulm (Mack capitule), victoire qui lui vaudra en 1808 le
titre ducal.
A peine la paix avec l'Autriche est-elle
signée à Presbourg le 26 décembre 1805 que la Prusse s'allie avec
l'Angleterre et la Russie
(c'est la quatrième coalition). Pendant que le reste de la Grande armée se dirige
vers Austerlitz, l'Empereur le charge d'aller occuper le Tyrol. Il prend
Charnitz et Innsbrück le 7 novembre et entre en Carinthie d'où il chasse l'archiduc Charles. En 1806,
il participe à la campagne de Prusse. Présent à Iéna, le 14 octobre, il
emmène ses divisions à l'assaut des lignes prussiennes. Mais, emporté par
son élan, il se retrouve encerclé. Lannes le tire de ce mauvais pas. Le
lendemain, Ney prend Erfurt et quelques jours plus tard entame le siège de
Magdebourg, siège qui va durer moins de 24 heures. Il bat les Prussiens à Thorn le 6 décembre 1806.
Il est partout ; à Eylau (8 février 1807) où il arrive en
retard sur le champ de bataille, mais son arrivée décide de la victoire. A Guttstadt, où il combat 70.000 hommes avec
seulement 14.000 soldats, n'ayant reçu aucun renfort, il est obligé
de battre en retraite. Plusieurs fois encerclé, il réussit à se frayer un
chemin à travers les rangs ennemis laissant aux mains des Cosaques le
mobilier de l'état-major et ses vêtements. .
Friedland, le 14 juin 1807 est sans nul doute
sa plus belle victoire, sabre au
clair, il poursuit l'armée russe et pénètre en même temps qu'elle dans la
ville : « le maréchal Ney avec un sang-froid et une intrépidité qui
lui est particulière était en avant de ses échelons, dirigeait lui-même les
plus petits détails et donnait l'exemple à son corps d'armée..... »
(bulletin de la Grande
armée du 17 juin). A la suite de cette victoire, ses soldats le surnomment
« le brave des braves », « le lion rouge » ou
« Michel le rouge » pour la couleur de ses cheveux.
Il n’est pas besoin d’être grand stratégiste
pour comprendre la bataille de Friedland. Lancé à la poursuite des russes,
Napoléon les trouva enserrés dans un coude formé par la petite rivière
l’Alle, ayant ce cours d’eau à dos. Une seule voie de retraite leur était
ouverte : les 4 ponts conduisant à Friedland. Il était déjà tard et
plusieurs généraux proposaient de remettre l’attaque au lendemain. Napoléon
s’y opposa. Il appela auprès de lui le maréchal Ney et lui exposa ce qu’il
attendait de lui. Il ne s’agissait de rien moins que d’enfoncer les rangs
russes, de passer au travers et d’aller occuper Friedland et les 4 ponts
qui y menaient. Si le maréchal réussissait cette difficile manœuvre, toute
retraite était coupée à l’ennemi ; c’était la défaite complète et
irrémissible, la perte de l’armée russe.
L’Empereur prenant par le bras le maréchal,
et lui montrant Friedland, les ponts et les russes massés devant, lui
dit : « Voilà le but, marchez-y sans regarder autour de
vous ; pénétrez dans cette masse épaisse, quoiqu’il puisse vous en
coûter ; entrez dans Friedland, prenez les ponts et ne vous inquiétez
pas de ce qui pourra se passer à droite, à gauche ou sur vos arrières.
L’armée et moi sommes là pour y veiller. »
Ney avait compris. Il s’éloigna sans mot dire
et Napoléon fut si frappé par son air résolu qu’il dit au maréchal
Mortier : « Cet homme est un lion. »
La lutte fut effroyable, les russes tiraient
de tous côtés sur les troupes commandées par Ney qui, galopant d’un bout de
la ligne à l’autre, soutenait le cœur de ses soldats par sa contenance
héroïque. Cependant des files entières étaient emportées et le feu devenait
tel que les plus braves ne pouvaient pas le supporter longtemps. Le
maréchal Ney n’en continue pas moins d’avancer, d’enfoncer l’armée russe et
parvient ainsi aux portes de Friedland où il pénètre. Puis il fait détruire
et incendier les ponts.
Un moment encore, il soutient une nouvelle
attaque des russes encore plus furieuse que la précédente mais il y résiste
victorieusement. La bataille ne se termine qu’à dix heures et demie du soir
par la défaite absolue de l’armée russe.
Le 6 juin 1808, Napoléon le fait duc
d'Elchingen.
L'EXPEDITION
EN ESPAGNE ET AU PORTUGAL (1808-1810)
Après l'abdication forcée du roi Charles IV
et de son fils, toute l'Espagne se soulève contre les Français ; Ney est
envoyé dans la péninsule ibérique avec le VIème corps. En octobre, il
soumet Logrono sur la rive droite de l'Ebre, puis s'empare de Soria le 22
novembre et d'Oviedo en mai 1809. Au début de cette expédition, il est
placé sous les ordres de Lannes avec lequel il ne s'entend guère, puis sous
ceux de Soult avec lequel il s'entend encore moins : tous deux agissent de
manière totalement indépendante et les opérations militaires s'en
ressentent :
« Vous avez quitté la Galice où nous devions
opérer ensemble sans daigner m'en prévenir et le secret de ce mouvement a
été si bien gardé que je n'en ai été instruit que cinq jours après votre
départ. Je n'ai point éprouvé le désastre qui m'était préparé ; j'ai sauvé
toute mon artillerie, tous mes malades et les vôtres. » (Lettre de Ney
à Soult)
En 1810, il fait partie de l'armée du
Portugal commandée par Masséna. Ney s'empare de Ciudad Rodrigo le 10
juillet 1810 et obtient la reddition d'Almeida le 26 août. Mais toute l'armée
française se heurte aux lignes de défense de Lisbonne à l'intérieur
desquelles est retranché le contingent anglais de Sir Wellesley, futur duc
de Wellington. Après deux mois d'un siège rendu inutile par l'absence
d'artillerie et de renforts, les Français sont contraints à la retraite. C'est
à Ney qu'est confiée l'arrière-garde, tâche dans laquelle il excelle : il mène les combats d'arrière-gardes, avec
les 6.000 hommes qui restent de son corps. Il supporte mal d'être placé
hiérarchiquement sous Masséna, de recevoir des instructions d'autres que
l'Empereur. Les querelles sont fréquentes. Arrivé près de la frontière espagnole, un
nouveau différend l'oppose à Masséna; Ney demande un congé officiel
« pour aller prendre les eaux » et rentre en France. Mais Ney renâcle tant que Napoléon finit par le
destituer en mars 1811.
LE PRINCE DE LA MOSKOWA (1811-1812)
L'alliance conclue à Tilsitt n'avait jamais
satisfait ni l'Empereur ni le Tsar. En 1811 leurs relations se tendent
davantage. Napoléon commence alors à concentrer ses troupes : cette Grande
armée surnommée « l'armée des vingt nations » est certainement la
plus importante qu'il ait jamais rassemblée mais elle est constituée à plus
de 40% par des contingents étrangers dont certains n'ont qu'une envie
modérée de se battre pour la
France.
Le 24 juin 1812, les troupes françaises franchissent la
frontière russe. Devant elles, les Russes refusent le combat et reculent.
Ney est à la tête du IIIème corps. En août, il occupe Smolensk en flammes
et s'empare du plateau de Valoutina. Le 7 septembre 1812, il commande le
centre de l'armée à la bataille de la Moskowa près de Borodino : c'est une victoire
mais les pertes sont énormes des deux côtés. Le 18ème bulletin
de la Grande
armée cite le maréchal Ney qui « s'est couvert de gloire et a montré
autant d'intrépidité que de sang-froid ».
L'Empereur lui décerne le titre de prince de la Moskowa.
LA RETRAITE
DE RUSSIE (1812)
En septembre, les troupes françaises occupent
Moscou. Napoléon pense que le Tsar va solliciter la paix ; il attend, en
vain. Le temps passe et l'hiver approche. Il a le choix entre hiverner à
Moscou et par conséquent être coupé de la France pendant au moins six mois ou rentrer
en France. C'est cette dernière solution, approuvée par les maréchaux dont
Ney, qui est retenue et le 13 octobre, l'armée française prend le chemin de
la France.
Ney est de nouveau placé à l'arrière-garde, cette mission est
devenue sa spécialité. Il recule en combattant et en ralentissant la
progression des Russes. La neige commence à tomber. Le 17 novembre, il
est séparé de la Grande
armée, harcelé par les Cosaques ; il réussit à traverser le Dniepr qui
n'est pas totalement gelé en abandonnant son artillerie et ses bagages. Le
19 novembre il rejoint à Orcha l'Empereur qui ne l'attendait plus.
Le 25 novembre, les troupes françaises ou du moins ce qu'il en reste,
arrivent au bord de la Bérézina. Pour sauver 3.000 hommes du désastre, il n'a
pas compté les efforts et les sacrifices. Il est l'un des derniers Français
à quitter le sol russe. Grâce aux pontonniers du général Eblé qui
travaillent dans l'eau glacée, la rivière est franchie sur deux ponts
construits à la
hâte. Le 29 novembre, Ney est de nouveau placé à
l'arrière-garde. Sa personnalité dans ces circonstances tragiques est
déterminante : redevenu simple soldat marchant au milieu des autres, le
fusil à la main, il est un exemple, « une âme trempée
d'acier » selon Napoléon.
« Il traverse Kowno et le Niémen,
toujours combattant, reculant et ne fuyant pas, marchant toujours après les
autres, et pour la centième fois, depuis quarante jours et quarante nuits,
sacrifiant sa vie et sa liberté pour ramener quelques Français de plus ; il
sort enfin le dernier de cette fatale Russie, montrant au monde ... que
pour les héros, tout tourne en gloire, même les plus grands
désastres. » (Comte de
Ségur) .
LES CAMPAGNES
D'ALLEMAGNE ET DE FRANCE (1813-1814)
Une nouvelle coalition se forme en 1813
contre la
France. Napoléon lève de nouvelles troupes, les
« Marie-Louise », conscrits des classes 1814 et 1815 appelés par
anticipation : pratiquement sans formation militaire, ils savent à peine
charger un fusil. Le 17 mars, la
Prusse se joint à la Russie et à l'Angleterre en guerre contre la France. Ney prend
le commandement du IIIème corps. A la bataille de Lützen le 2 mai, sa
résistance aux assauts ennemis décide de la victoire. Le 21
mai à Bautzen, c'est encore une victoire ainsi que les 26 et 27 août 1813 à
Dresde. Depuis le début du mois d'août, l'Autriche et la Suède ont rejoint
la coalition contre la
France. Pour tous les généraux de Napoléon, c'est le
début des revers : Ney est battu à Dennewitz le 5 septembre par
Bernadotte.
A Leipzig le 15-19 octobre 1813 où il est blessé, la trahison des
contingents saxons en pleine bataille précipite la défaite et ouvre les
portes de la France.
A la mi-novembre, Napoléon revenu à Paris essaie de mettre sur
pied une nouvelle armée. Ney reçoit le commandement de la moyenne garde à
Nancy en janvier 1814. Ses troupes sont fatiguées et découragées par les
défaites successives. La campagne de France commence le 27 janvier
1814. Ney est présent à toutes les actions importantes : à Brienne, à
Champaubert, à Montmirail où il s'empare d'une ferme à la baïonnette avec
la vieille garde, à Craonne et à Châlons sur Marne. Il s'expose
délibérément, indifférent au danger : « La mort ne frappe que ceux
qui hésitent ! Regardez-moi ! Elle ne m'atteint pas. »
Mais tous les efforts sont inutiles. Après la défaite, il juge que l'ambition de
Napoléon est la cause du désastre.
Le 30 mars 1814, Joseph Bonaparte décide de la capitulation de
Paris et le 31 les coalisés entrent dans la capitale; le 2 avril 1814, le
Sénat prononce la déchéance de l'Empereur.
Napoléon est à Fontainebleau. Il souhaite continuer la guerre
dans l'est de la France
et demande à Ney de rédiger un manifeste destiné aux Alsaciens et aux
Lorrains.
Celui-ci refuse et appuyé par Oudinot, Macdonald, Berthier,
Lefebvre et Moncey, fait pression sur l'Empereur pour qu'il abdique.
Le 6 avril 1814, Napoléon quitte le pouvoir.
NEY ET LOUIS
XVIII (avril 1814-mars 1815)
Le 12 avril 1814, maréchaux et généraux, et
parmi eux le maréchal Ney, vont à la barrière de Bondy saluer l'arrivée du
comte d'Artois, frère du roi ; le 29, c'est à Compiègne qu'ils vont
s'incliner devant Louis XVIII. Celui-ci a besoin de l'armée pour asseoir
son autorité : les honneurs pleuvent sur Ney. L'ordonnance royale du 20 mai
1814 le nomme "commandant en chef du corps royal des cuirassiers, des
dragons, des chasseurs et des chevau-légers lanciers de France" ; le 1er
juin, il est fait chevalier de l'ordre de Saint Louis, le 2, gouverneur de
la 6ème division militaire à Besançon et le 4, pair de France.
Mais tous ces honneurs ne parviennent pas à effacer le mépris et les
multiples vexations de la
cour. Ney séjourne de plus en plus souvent dans sa terre
de Coudreaux, près de Châteaudun.
Le 6 mars 1815, Napoléon débarque à Fréjus. C'est à Ney qu'est
dévolue la mission de lui barrer la route. Reçu par le roi, il lui promet « de
lui ramener Bonaparte dans une cage de fer ». Parti pour Besançon
puis Lons-le-Saunier, il découvre une France bonapartiste : « Que
voulez-vous ? Je ne puis arrêter l'eau de la mer avec mes mains. »
Ce ralliement à la cause royaliste, Fontanes, un ami de
Chateaubriand l'explique de cette manière :
« Ney a fait sa soumission par
entraînement de vieux soldat, par surprise du cœur ou défaut de
tête. »
Mais quand il rencontre Napoléon, Ney est à nouveau acquis à sa
cause.
LES CENT
JOURS (mars-juin 1815)
Le 13 mars 1815, Napoléon est mis au ban de
l'Europe par les puissances alliées.
En juin les troupes françaises pénètrent en
Belgique. Ney commande les 1er et 2ème corps. Chargé
de prendre la position des Quatre-Bras sur la route de Bruxelles, il livre
à Wellington les 15 et 16 juin, une bataille acharnée mais qui manque de
vigueur. Le 18 juin, il est à Waterloo où il charge à cinq reprises à la
tête de sa cavalerie, cherchant vainement la mort sur le champ de bataille
:
« Ney, éperdu, grand de toute la hauteur
de la mort acceptée, s'offrait à tous les coups dans cette tourmente. Il
eut son cinquième cheval tué sous lui. En sueur, la flamme aux yeux,
l'écume aux lèvres, l'uniforme déboutonné, une de ses épaulettes à demi
coupée par le coup de sabre d'un horse-guard, sa plaque de grand-aigle
bosselée par une balle, sanglant, fangeux, magnifique, une épée cassée à la
main, il disait : « Venez voir comment meurt un maréchal de France sur
un champ de bataille ! » Mais en vain ; il ne mourut pas. Il était
hagard et indigné. Il jetait à Drouet d'Erlon cette question :
« Est-ce que tu ne te fais pas tuer toi ? ». Il criait au
milieu de toute cette artillerie écrasant une poignée d'hommes : « Il
n'y a donc rien pour moi ! Oh ! Je voudrais que tous ces boulets anglais
m'entrassent dans le ventre ! » Tu étais réservé à des balles
françaises, infortuné. » Victor Hugo dans « Les Misérables ».
De retour à Paris, il apprend que la Chambre des Pairs est
convoquée pour le 22 juin. Il s'y rend. Chateaubriand fait le récit de
cette séance dans les « Mémoires d'outre-tombe ».
« Les discussions étaient vives à la Chambre des Pairs.
Longtemps ennemi de Bonaparte, Carnot, qui signait l'ordre des égorgements
d'Avignon sans avoir le temps de le lire, avait eu le temps, pendant les
Cent-Jours, d'immoler son républicanisme au titre de comte. Le 22 juin il
avait lu au Luxembourg une lettre du ministre de la guerre, contenant un
rapport exagéré sur les ressources militaires de la France. Ney,
nouvellement arrivé, ne pu entendre ce rapport sans colère. Napoléon, dans ses
bulletins, avait parlé du maréchal avec un mécontentement mal déguisé,
et Gourgaud accusa Ney d'avoir été la principale cause de la perte de la
bataille de Waterloo. Ney se leva et dit : « Ce rapport est faux,
faux de tous points : Grouchy ne peut avoir sous ses ordres que vingt à
vingt-cinq mille hommes tout au plus. Il n'y a plus un seul soldat de la
garde à rallier : je la commandais ; je l'ai vu massacrer toute entière
avant de quitter le champ de bataille. L'ennemi est à Nivelle avec
quatre-vingt mille hommes ; il peut être à Paris dans six jours : vous
n'avez d'autre moyen de sauver la patrie que d'ouvrir des
négociations. »
L'aide de camp Flahaut voulut soutenir le rapport du ministre
de la guerre ; Ney répliqua avec une nouvelle véhémence : « Je le
répète, vous n'avez d'autre voie de salut que la négociation. Il
faut que vous rappeliez les Bourbons. Quant à moi, je me retirerai aux
Etats-Unis. »
« A ces mots Lavallette et Carnot accablèrent le maréchal
de reproches ; Ney leur répondit avec dédain : « Je ne suis pas de ces
hommes pour qui leur intérêt est tout : que gagnerais-je au retour de Louis
XVIII ? d'être fusillé pour crime de désertion ; mais je dois la vérité à
mon pays. »
« Dans la séance des Pairs du 23, le
général Drouot, rappelant cette scène dit : « J'ai vu avec chagrin
ce qui fut dit hier pour diminuer la gloire de nos armes, exagérer nos
désastres et diminuer nos ressources. Mon étonnement a été d'autant plus
grand que ces discours étaient prononcés par un général distingué [Ney], qui
par sa grande valeur et ses connaissances militaires, a tant de fois mérité
la reconnaissance de la nation. »
Malgré le passeport fourni par Fouché, il
refuse de fuir.
Réfugié dans un village, il laisse exposé le
sabre turc que lui a offert l'Empereur pour son mariage. C'est ainsi qu'il
est remarqué et arrêté, le 3 août 1815.
Le jury chargé de le juger pour trahison,
composé de maréchaux dont une bonne part a agi comme lui, se déclare
incompétent.
La Chambre des pairs prend l'affaire en main et
décrète la peine capitale (parmi les votants, Chateaubriand).
Parmi les grandes
pages de l'histoire du Palais du Luxembourg, celle du procès du Maréchal
Ney est l'une des plus dramatiques. Elle met brutalement fin au destin d'un
militaire exceptionnel, soldat de la Révolution et de l'Empire, auquel les titres
les plus prestigieux ont été attribués : Maréchal, duc d'Elchingen,
prince de la Moskova,
« Brave des braves »...
L'exécution de Ney, avenue de l'Observatoire, au petit matin du
7 décembre 1815, met en effet un terme à la fois symbolique et définitif
aux rebondissements et retournements de la période des Cent Jours.
Nommé Pair de France par Louis XVIII en 1814 après l'abdication
de Napoléon, Ney ne siègera que quelques mois à la Chambre des Pairs car,
dès le mois de novembre 1815, il devra se soumettre au jugement de cette
même Chambre, constituée en Cour de justice, pour trahison envers le Roi et
l'Etat. La Chambre
des Pairs siégeant au Palais du Luxembourg, c'est là qu'il fera ses
dernières déclarations publiques. Mais c'est également là qu'il passe les
derniers moments de sa vie, puisqu'à la fin du procès une cellule lui sera
aménagée dans l'enceinte même du Palais.
Quand on le réveille dans sa cellule pour lui
lire la sentence, Ney a compris. Il interrompt la longue énumération de ses
titres. « Passez. Dites Michel Ney et bientôt un peu de
poussières ». Le 7 décembre, au lieu de l'exécuter sur la plaine de
Grenelle, comme c'est la coutume, on l'emmène sur l'avenue de
l'Observatoire, pour éviter les mouvements de foule. Ney refuse le bandeau,
tonne « Soldats, droit au cœur ! » et tombe, fusillé. La
monarchie a fait un exemple. Quatre ans plus tard, elle absoudra les autres
maréchaux.
Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise (29ème division – 1ère ligne, R, 33).
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